[Défis RH – Grand Groupe] Nadine Thouin

Le Comp & Ben, acteur incontournable des fusions et acquisitions


Entretien avec Nadine Thouin, Directrice Rémunération et Avantages sociaux Groupe, Suez
 

Bonjour Nadine, pourriez-vous s’il vous plaît nous décrire votre parcours ?

Je suis diplômée de l’Université Concordia de Montréal en mathématiques actuarielles, et ancienne membre de la Society of Actuaries des Etats-Unis et de l’Institut canadien des actuaires. 
J’ai rejoint Suez en 2018 pour accompagner le groupe dans sa gestion des avantages sociaux à l’international, à un moment où Suez venait d’acquérir une entité de 7 500 salariés basés sur 75 pays.
 
Avant de rejoindre Suez, j’ai travaillé plus de 15 ans en tant que consultante senior à l’international au sein du cabinet WTW à Montréal et à Paris, et 8 ans en tant que directrice des ventes et du marketing au Planet Hollywood Paris.  

En février 2022 j’ai été nommée Directrice Groupe C&B dans le contexte post-OPA. En effet, Veolia a mené son offre publique d’achat sur Suez en 2021, puis en a cédé environ 40 % à un consortium d’investisseurs pour éviter une situation monopole, ce qui donne naissance au « Nouveau Suez », société non cotée. C’est donc dans ce contexte plus que challengeant que j’ai pris mes nouvelles fonctions, et œuvré pour m’assurer que tous les collaborateurs conservaient bien les mêmes niveaux d’avantages sociaux, tout en rendant accessible le nouveau modèle de partage de valeur proposé par les actionnaires. 

Parmi mes réalisations figure le plan d’actionnariat salarié « Go SUEZ », mis en place en 2022 rendant possible le recyclage des anciens plans qui s’étaient terminés avec l’OPA. Ce fut un immense challenge, par sa complexité, dans un contexte de société non cotée, mais également une réussite sans précédent avec une participation record au sein du Groupe. Ce plan est de surcroît le premier plan d’actionnariat salarié de Suez en tant qu’entreprise non cotée - un succès récompensé par l’Observatoire Rémunération et Avantages Sociaux, qui nous a décerné un trophée.
 

Comment avez-vous été amenée à vous impliquer dans des opérations de M&A ?

Tout a commencé alors que j’étais encore consultante chez WTW. Un de nos clients, la société Coty, venait d’acquérir une entité qui les dépassait en termes de taille (P&G Beauty, présente sur 70 pays). Avec ma casquette d’actuaire spécialisée dans les avantages sociaux à l’international, je suis partie une année en détachement pour accompagner ce client à intégrer toutes les entités nouvellement acquises. J’ai notamment eu la tâche de convertir plusieurs contrats d’expatriation en contrats locaux.  La connaissance des avantages sociaux propres à chaque pays a été clé dans cette mission, mais également la coordination de plusieurs acteurs (DRH des filiales, actuaires, fiscalistes, avocats…). 

A mon retour chez WTW, j’étais dorénavant reconnue comme une référente M&A, et il n’aura fallu que quelques semaines avant qu’on ne me demande d’accompagner Suez à la suite de l’achat de la compagnie GE Water (7 500 salariés répartis sur 75 pays), en tant que Project Management Officer de la ligne métier RH. Suez voulait se diversifier et acquérir une plus grande expertise dans le domaine du traitement de l’eau dédié aux entreprises, d’où ce projet d’acquisition. Un réel challenge, car Suez employait à ce moment plus de 90 000 salariés répartis sur 60 pays, et car les nouveaux arrivants travaillaient parfois sur de petites structures, ou bien étaient localisés dans des pays où Suez n’avait pas d’activité.
 

Pourriez-vous nous dire quelles sont les contributions attendues d’une ou d’un Comp & Ben lors d’une opération M&A ?

Rappelons tout d’abord qu’il existe plusieurs phases lors d’un projet de fusion/acquisition, dont certaines pouvant nécessiter l’aide d’un C&B.

Une de ces phases est celle dite de « due diligence », qui se situe en amont de l’achat et vise à confirmer ou à réévaluer la valeur de la société visée par le repreneur en effectuant un examen détaillé des paramètres financiers, les actifs et les passifs, les clients, les ressources humaines, etc. de cette société. 

Il n’est pas rare que les équipes M&A sollicitent alors un C&B, car parfois la société cible peut être soumise à des dettes liées aux avantages sociaux que seuls les yeux aguerris d’un C&B peuvent déceler. J’ai souvenir d’un dossier d’achat d’une entité en Allemagne qui comportait un régime de retraite à prestations définies dont les provisions s’avéraient très conséquentes, mais non visibles de prime abord. De plus, il était impossible de les annuler du fait des accords collectifs en place. L’achat n’a finalement pas eu lieu du fait de cette analyse.

Une autre analyse menée par un C&B en phase de due diligence avait permis de découvrir un document qui mentionnait qu’un recours collectif était en cours de la part de salariés qui s’estimaient lésés après avoir investi leurs cotisations de retraite supplémentaire en actions de l’entreprise. Le cours de l’action ayant fortement chuté, les salariés avaient intenté un recours collectif en argumentant qu’ils avaient été mal conseillés par l’entreprise. Plusieurs millions étaient en jeu. L’intervention du C&B a permis de déduire ce montant du prix d’achat. 

Une fois passée la phase de due diligence et que le constat est fait qu’il n’y a pas de problèmes ou de préoccupations majeures, l’étape suivante est l’exécution d’un contrat de vente définitif et la fixation de la date officielle (la « closing date »). 

Ici encore, l’aide d’un C&B est précieuse. J’ai pour ma part occupé le rôle de Project Management Officer - ou « PMO » - pour la ligne métier RH pendant toute cette période. Une équipe intégration composée de représentants de chaque filière (HR, finance, IT, fiscale, juridique, communication…) devait se réunir une fois par semaine. Je devais participer à toutes les réunions, gérer le suivi des sujets RH, pays par pays, ainsi que le planning qui nous mènerait au « day 1 ». 

J’ai réalisé assez rapidement que nous ne pouvions pas travailler sur les sujets d’intégration RH tant que nous ne connaissons pas la forme finale du deal, qui a été déterminée par les équipes fiscales et juridiques. Disons simplement que lors d’un achat de société, la structuration de l’opération peut se réaliser en acquérant les actions de l’entreprise propriétaire de l’actif immobilier (« share deal ») ou par l’acquisition directe de cet actif immobilier (« asset deal »). Dans un « asset deal » l’objet de la vente porte uniquement sur les actifs à l’exception des passifs qui lui sont attachés, alors que pour un « share deal » l’acquéreur reprend la société avec l’ensemble des actifs et passifs.

Mais même en ayant la forme du deal, nous n’étions pas au bout de nos peines, car nous devions regarder la forme juridique des entités achetées dans chaque pays. Par exemple, parfois les employés travaillaient pour une entité GE Water (dans ce cas nous parlions de transfert direct). Mais parfois ils travaillaient avec d’autres employés GE dans une entité qui ne faisait pas partie du périmètre de l’achat (nous disions alors qu’il fallait faire un “carve out” pour ces employés). Parfois nous avions une entité Suez prête à les accueillir, ou alors GE ou Suez devait créer une nouvelle entité. Tout ceci était géré par l’équipe M&A avec les fiscalistes et les juristes, mais nous en subissions parfois les conséquences au niveau RH. Je me souviens du cas d’une entité que nous avons dû créer en Chine pour accueillir les salariés en provenance de GE. Pour ce faire nous avons dû modifier leur contrat de travail en stipulant le nom de la nouvelle entité d’accueil. Cependant, à cause de cette modification, les salariés avaient le droit de refuser ce nouveau contrat et dans ce cas Suez devait payer des indemnités de rupture. Les équipes RH ont donc œuvré pour accompagner les salariés et faire beaucoup de communication, ce qui a pu éviter des démissions massives.
 

Quelles compétences cela nécessite-t-il ?

La rapidité : lors de l’achat de GE Water, Suez a postulé en février et a remporté l’offre d’achat en mars, date à laquelle j’ai été sollicitée pour intégrer le projet. De plus, la « closing date » était prévue pour juillet, donc nous avions 3 mois pour nous organiser et tout préparer avant le « day 1 ».  Nous n’avions pas une minute à perdre !

L’agilité : le délai lié à cette opération s’est finalement avéré être trop court pour toutes sortes de raisons qui n’étaient pas de mon ressort. En conséquence, la « closing date » a été décalée deux fois pour finalement s’établir au 1er octobre. Etant le chef d’orchestre des équipes RH de chaque pays, j’ai dû revoir le plan et jongler avec les différents délais à plusieurs reprises.

L’organisation : pour être efficace il faut être organisé. Et pour être organisé, quoi de mieux que de connaître de façon détaillée les packages et avantages sociaux de son propre groupe. Je l’ai réalisé à mes dépens lors du début du projet. La société que nous rachetions m’a rapidement fourni un rapport très détaillé de leurs avantages sociaux en place dans chaque pays car ils avaient depuis longtemps mis en place un outil centralisé en ligne permettant d’auditer et conserver trace de ceux-ci. Ironiquement, la difficulté est venue de mon côté, car un tel outil centralisé n’existait pas. Nous avons dû « enquêter » auprès de nos filiales en un temps record pour obtenir les informations manquantes.
 

Quels conseils donneriez-vous à une ou à un C&B qui devrait contribuer à une opération M&A pour la première fois ?

S’armer de patience, Rome ne s’est pas faite en un jour ! Un projet de M&A peut paraître très intimidant de prime abord… Plusieurs représentants de filières différentes se rencontrent régulièrement pour soulever une multitude de problèmes liés souvent à la forme du deal. On peut très vite être dépassé par tous les termes techniques que l’on n’a pas l’habitude d’entendre, on se pose des questions sans arriver à trop savoir si les problématiques soulevées par nos collègues des autres filières auront ou pas un impact sur la nôtre… Pas de panique ! J’ai eu l’occasion d’échanger avec ces collègues une fois passé le projet, et la plupart m’ont avoué avoir été autant perdu que moi au début. Il faut persévérer et ne pas hésiter à rappeler les membres de l’équipe M&A ou ceux des autres filières pour poser des questions demeurées sans réponses.

De plus, ne pas oublier que c’est aussi une opportunité d’apprendre énormément sur le fonctionnement d’une entreprise, en particulier sur les interactions entre les différentes fonctions. Cela aide à prendre du recul par rapport à notre propre travail et à avoir une vue d’ensemble.

Au final, ce type de projet permet de continuer sur une lancée et de proposer de nombreux projets « bis » qui peuvent apparaître comme une suite logique post-acquisition. Pour ma part, l’achat de GE Water m’a permis de poursuivre l’intégration sur un projet de « value capture » avec identification de synergies de nos plans d’avantages sociaux, et des opportunités d’économies à fort potentiel. Cela m’a également permis de mettre en place une stratégie groupe pour le pooling d’assurance et la mise en place d’une structure Global Benefits Management… sans oublier le développement d’un système de grading groupe. Avec plaisir pour développer tout ceci à l’occasion d’une autre interview !

 

Au sujet du Groupe Suez : https://www.suez.com/fr/nous-connaitre/groupe